A Bruxelles, le recul des prix de l'immobilier est limité mais va se poursuivre, jusqu'à quel point ?
Le marché, selon la dernière analyse des géomètres-experts immobiliers bruxellois, en est revenu aux valeurs de 2020. Mais pas encore de 2019, année d’avant le Covid.
- Publié le 28-03-2024 à 15h00
Le décodage printanier de la Commission du marché immobilier (CMI) de l'Union des géomètres-experts immobiliers de Bruxelles (Ugeb) est et reste le seul à se baser sur le rapport qualité-prix des biens en termes de superficie habitable, d'état général et d'équipements. Ce qui fait tout son attrait. Les coefficients plus ou moins élevés attribués aux biens immobiliers expertisés signifient que le prix est correct ou pas. Où l'on observe clairement (voir graphiques ci-dessous) que les prix des maisons, maisons de rapport et appartements ont augmenté dans la capitale entre 2018 et 2021, voire jusqu'en 2022, pour baisser depuis.
Ce qui ne surprend guère Éric De Keghel, président de la CMI. "On en revient aux valeurs de 2020. L'effet pandémie s'annule", dit-il. Enfin, presque, car les prix d'avant crise, ce sont ceux de 2019… L'expert reconnaît par ailleurs que ces prix de vente en recul ne changent pas grand-chose pour l'acquéreur puisque les prêts hypothécaires ont, eux, augmenté. Ce qui lui fait voir l'évolution récente comme un "recul relatif", "limité". "Mais la tendance baissière se prolongera en 2024", augure-t-il.
1. Le prix des maisons perd jusqu’à - 8 % sur un an
En ce qui concerne les maisons et pour ce qui est des ventes de gré à gré, l'indice moyen a baissé de 8 % par rapport à 2022. Une baisse qui intervient après une hausse d'environ 30 % depuis 2019. "Le recul n'en est pas moins marqué, très certainement dans un marché bruxellois qui, historiquement, ne s'est jamais effondré, sauf peut-être après la vague des Suédois (1988-1992) où nombre de ventes avaient été réalisées à des prix surfaits", commente Éric De Keghel. En ventes publiques, le recul est moins net puisque l'indice moyen n'a baissé que de 2 %. Il faut dire qu'il avait déjà baissé entre 2021 et 2022, également après une hausse de plus de 30 % entre 2018 et 2021.
"L'évolution des indices révèle que le marché bruxellois monte vite et, quand il atteint le haut de la vague, affiche un certain essoufflement, poursuit-il. Le mouvement haussier s'arrête, voire s'infléchit (ce qui est à voir comme un rééquilibrage), puis reprend à nouveau." Ce qui ne veut pas dire qu'il voit déjà poindre une reprise, loin de là : 2024 restera attentiste.
2. Maisons de rapport : à nouveau un marché de professionnels
Comme pour les maisons d'habitation, 2023 affiche un recul des prix des maisons de rapport sur le marché des ventes de gré à gré : - 6 % entre 2022 et 2023. Ceci après une hausse de 35 % sur les quatre dernières années. En ventes publiques, le recul avait déjà été amorcé en 2022. Après une hausse de 50 % entre 2018 et 2021 (pendant la crise sanitaire, la brique était perçue comme une véritable valeur refuge), l'indice a baissé de 12 % en 2022. L'an dernier, il s'est donc repris de 3,5 %. "Ce sont généralement des professionnels qui investissent dans des maisons de rapport, indique Éric De Keghel. Ils connaissent le marché. Se laissent moins aller à donner des prix fous. Si, pour tous les types de biens, les indices en ventes de gré à gré dépassent ceux des ventes publiques, l'écart est inférieur à 2 % pour les maisons de rapport, alors qu'il est de 3,5 % pour les unifamiliales et de… 23 % pour les appartements."
"L'augmentation des prix des appartements est surprenante,. D'autant qu'il s'agit du marché secondaire, à l'exclusion du neuf."
3. Le prix des appartements à la hausse mais plus pour longtemps
Contrairement aux maisons d’habitation et de rapport, les prix des appartements en ventes de gré à gré ont continué à monter l’an dernier. L’indice moyen a pris 10 %. Le prix moyen au mètre carré, lui, a augmenté de 4,5 %, passant pour la première fois la barre des 3 000 euros (à 3 030 euros).
En ventes publiques, mode d’acquisition qui réagit plus rapidement aux aléas économiques, les valeurs des appartements ont légèrement baissé, après une hausse de 50 % entre 2018 et 2021 : soit un recul de l’indice de 3,5 % et du prix au mètre carré de 1 % (à 2 570 euros).
"L'augmentation des prix des appartements est surprenante, s'étonne le président de la Commission du marché immobilier de l'Ugeb. D'autant qu'il s'agit du marché secondaire, à l'exclusion du neuf. C'est à croire que les candidats acquéreurs qui ne savaient pas se payer une maison se sont rabattus sur un appartement, sans vraiment analyser ce marché, sans comparer les prix, les offres, les taxes. Cet afflux a exacerbé la concurrence, continuant à mettre une pression sur les prix."
Et de se désoler de voir que certains se sont fourvoyés. "Ils ont acheté de la seconde main à un prix trop élevé par rapport à ce qu'ils auraient pu acheter en neuf. La moyenne sur le marché secondaire est à 3 000 euros alors que le mètre carré neuf, assorti d'un PEB B, tourne autour des 4 000 euros." Même si, en règle générale, l'ancien des années 1970 et 1980 est souvent plus spacieux et un peu mieux localisé. "Mais c'est oublier que dans les années à venir, la performance énergétique des bâtiments va devenir vraiment déterminante, avec des impositions de rénovation à la clé. L'ancien va alors perdre de l'intérêt au profit du neuf." Ce que 2023 n'a donc aucunement démontré.
4. De moins beaux lots en ventes publiques
Il fut un temps, pas si éloigné, où le prix des ventes publiques dépassait en moyenne celui des ventes de gré à gré. Ce temps n'est plus. Parce qu'il y a moins d'amateurs susceptibles de s'émousser mutuellement et donc, de tirer les prix vers le haut. "Mais aussi parce que, depuis l'avènement de Biddit et compte tenu de la mine de renseignements que donnent les notaires sur les biens mis en vente, on n'achète pas un chat dans un sac", complète Éric De Keghel. Mais c'est surtout, selon l'expert, "Parce que, dans l'ensemble, la qualité des biens mis en vente publique ces derniers mois est moindre : mauvais état, infractions urbanistiques…. Il y a d'ailleurs plus de retraits qu'avant. Alors qu'à l'époque du lancement de Biddit (en 2018, NdlR), il y avait vraiment de beaux biens."
Quelques exemples
Les maisons
Un coefficient élevé est synonyme de prix élevé. Trop élevé ? “La plupart du temps, il convient de dire qu’il est surfait, signe de mauvaise affaire”, renseigne Éric De Keghel. Comme ici où cette petite unifamiliale (93 m²) de la rue Paul Wemaere (n° 5), à Woluwe-Saint-Pierre, datant de 1923 (un étage, deux chambres, revenu cadastral de 1 003 euros, coefficient de 1 505), dans un “état ravagé”, “proche d’une ruine”, a été vendue, en juin 2023, à 256 000 euros. Soit un prix au mètre carré de 2 752 euros. “Cela semble peu pour une maison d’habitation mais c’est beaucoup pour un bien inhabitable. Les acquéreurs ont payé la localisation”, conclut le géomètre-expert immobilier.
Ce bien de la rue Tazieaux (n° 21), à Molenbeek-Saint-Jean, vendu en octobre 2023, est tout l’inverse de la précédente maison de Woluwe-Saint-Pierre puisqu’il se distingue par un faible coefficient (532), signifiant que le prix est plutôt bas comparativement au reste du marché. Et il l’est bel et bien : 218 000 euros pour une unifamiliale de quatre chambres sur deux étages et une superficie de 150 m², présentant un PEB G et un revenu cadastral de 897 euros. Soit seulement 1 481 euros par mètre carré habitable. La faille ? Car il y en a une : son état “à l’abandon” et… sa localisation. “Elle n’est pas chère mais elle est mal située”, résume le géomètre-expert immobilier.
Les maisons de rapport
Cette maison de rapport de la rue du Château d’Eau (n° 39) à Uccle prouve qu’une façade peut bien cacher son jeu. “Elle semble grande mais n’offre que trois appartements triangulaires de 47 m²”, indique Éric De Keghel. Son coefficient de 1 330 signifie que “les acquéreurs ont payé plus que cela ne se justifiait”, ajoute le géomètre-expert immobilier. Le prix de 360 000 euros (2 779/m²) est en phase avec le rapport locatif (720, 670 et 730 euros/mois, “soit 6 % de rendement”), la légalité de la division (“reconnue par l’urbanisme”) et l’état général (“bon, dans des décors anciens, pour un revenu cadastral de 830 euros”), “mais les logements restent minuscules.”
Le n° 68 de la rue des Plantes à Saint-Josse-ten-Noode offre au total 320 m² de surface habitable sur un terrain de 95 m². Son architecture présente une… anomalie : une porte dans sa façade qui ne lui appartient pas (sa largeur est de 5,90 m au rez et de 7,20 m aux étages). Cette maison de rapport datant des années 1870 abrite un studio au rez-de-chaussée et un triplex aux étages et aux combles. Le coefficient alloué par les géomètres-experts immobiliers est de 554. Quasiment rien à redire : 304 000 euros obtenus fin mars 2023 (950/m²), un revenu cadastral de 1 142, un PEB G pour le studio et E pour le triplex. Une assez bonne affaire.
Les appartements
La prestigieuse avenue Molière proposait, en septembre 2023, la vente d’un studio de 50 m² au quatrième étage de cet immeuble. Un amateur y a mis 307 000 euros. “Un bel appartement, certes, situé dans la partie ixelloise de l’avenue (n° 202), autrement dit la plus chic et la plus cossue, avec balcon et cave, détaille Éric De Keghel. Mais à 6 103 euros/m² tout de même… Avec un revenu cadastral de 946 €, un PEB E et une installation électrique non conforme… ! Et dans un immeuble datant des années 1960 (1962 précisément).” Bref un prix élevé que traduit le coefficient de 2 846 apposé par les géomètres-experts immobiliers.
Plus qu’un appartement, il s’agit ici d’un duplex né de la réunion des troisième et quatrième étages : 179 m² au total, deux chambres au troisième, une chambre et une mansarde à l’avant au quatrième, plus un ancien balcon fermé, pour un revenu cadastral global de 1 225 euros. “Mais les deux niveaux restent séparés par l’escalier commun”, note Éric De Keghel. Le bien, situé chaussée de Helmet n° 252, à Schaerbeek, a été acquis en juin 2023 pour 245 000 euros, représentant un prix au mètre carré de 1 368 euros. L’immeuble date des années 1930. Le coefficient attribué par les géomètres-experts immobiliers est à seulement 785, signe de prix correct.